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jeudi 23 janvier 2020

Paroles d'oiseaux et autres chants

Pour mon goût, voyager, c'est faire à la fois un mètre ou deux, s'arrêter, et regarder de nouveau un aspect des mêmes choses 
(Alain - Propos sur le bonheur)

Un martin-pêcheur venu d'on ne sait où s'approche du navire, comme pour se mesurer à la mer. Sur la mer immense, pas un vol d'oiseau à part le sien. Tout à coup il replie les ailes et plonge puis remonte, un objet blanc dans son bec. Il passe comme une flèche au-dessus du navire vers la ligne noire des arbres à l'horizon. Là-bas se trouve le nid douillet avec les petits qui attendent (Bui Ngoc Tan - La mer et le martin pêcheur)

On ne sait jamais quand on naît: l'accouchement est une simple convention. Beaucoup de gens meurent sans être jamais nés. D'autres naissent à peine, d'autres mal, comme avortés. Certains, par naissances successives, passent de vie en vie, et si la mort ne venait pas les interrompre, ils seraient capables d'épuiser le bouquet des mondes possibles à force de naître sans relâche, comme si ils possédaient une réserve inépuisable d'innocence et d'abandon (Juan José Saer - L'ancêtre)

La vie, ça se perd ou ça se conquiert. Moi, je suis à sa recherche. Lorsque je précise que je cherche la vie, je veux dire que je cherche à devenir vivant, à être réveillé, un éveil, oui, un éveil. Me réveiller de cet état de confusion, d'incertitude, d'ennui, de mélancolie, de désespoir, de léthargie où je me débats pour conquérir la réalité (Paul Nizon - L'année de l'amour)

Notre silence est chargé de toute l'impuissance du monde, notre silence est comme un retour à l'origine des choses, à leur vérité 
(Delphine de Vigan - No et moi)

En fin de compte, il retourna à la vie puisque celle-ci est la plus forte 
(Maryse Condé - En attendant la montée des eaux)

L'herbe sera grasse, dit-il, et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbèreront  les rayons du soleil. Les forêts frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse. L'Eldorado commandait. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'oeil sec et nos vies sont lentes (Laurent Gaudé - Eldorado)

Je préfère être fusillé. Je ne retournerai pas en Allemagne. J'ai décidé d'aller en Espagne. J'irai en Espagne et pas ailleurs. Quand je veux aller quelque part, j'y vais. Sauf si on me fusille (B. Traven - Le vaisseau des morts)

Le capitaine José Melias Quilan rêve de poissons, de poissons lisses, soyeux, de bancs de poissons au ventre blanc, flottant tels des glaçons en pleine mer... Des poissons tués par une explosion de dynamite ou par l'éruption sous-marine de gaz délétères... Il dort, le dos tourné à sa femme Sofia, dans sa maison de planches dressée au bord d'une crique du cap Quilan où ils vivent avec leurs sept fils - aucune fille. Soudain, il gifle Sofia d'un coup de nageoire pectorale. Le capitaine Melias Quilan est un phoque et Sofia, sa femelle... Pourquoi? Les rêves restent sans réponse, ils se racontent, c'est tout (Francisco Coloane - Le golfe des peines)

Ma vie ne vient à moi qu'en mon absence. Dans la clarté d'une pensée indifférente à mes pensées. Dans la pureté d'un regard indifférent à mes désirs. Ma vie fleurit loin de moi, à l'école buissonnière. Je m'en sépare en allant dans le monde. Je la rejoins en contemplant le ciel. Le ciel matériel, peint en bleu et en or... Les lumières qui y traînent sont des lettres d'amour. Un amour sans appartenance. Sans avidité. Un amour qui ne vous demande rien - sinon d'être là. Qui vous donne l'éternel, en passant (Christian Bobin - Éloge du rien)

Sanders. L'autre jour un hussard bleu m'a glissé dans l'oreille que nous retournerions à la terre sous forme d'azote, après notre mort. Cette solution ne me convient nullement. Je n'ai jamais rien compris à la chimie. Par contre j'étais premier en catéchisme (Roger Nimier - Le hussard bleu)

Nous devons conserver au centre de notre monde le lieu de nos incertitudes, le lieu de notre fragilité, de nos difficultés à dire et à entendre (Jean-Luc Lagarce - Du luxe et de l'impuissance)

Le retour au pays a toujours été un problème, la joie indicible se mêlant presque instinctivement à la crainte de ne plus se sentir chez soi, d'être devenu un étranger (Malek Chebel - Dictionnaire amoureux de l'Algérie)

"La mer ignore tellement la pitié que l'injure et l'imprécation viennent volontiers aux lèvres du marin. C'est l'expression de l'impuissance contre les forces aveugles de la nature. Et si il est vrai que Dieu existe, cette nuit-là Il était sourd et aveugle, car Il n'entendait ni voyait que six de Ses enfants voguaient au bord de la mort. Puisque Dieu était aveugle, il fallait bien que j'essaie de Le remplacer. J'étais coincé! Je devais sauver mes compagnons, et ma propre peau, en affrontant seul la tempête, collé à la barre. Parfois, l'homme est un dieu, parfois une vulgaire puce", termina-t-il en riant et en nous regardant de ses yeux pétillants (Francisco Coloane - Le golfe des peines)

Rien de ce qu'on peut posséder n'est pur. La pureté est pauvreté, dépossession, abandon. Elle commence où s'arrête le moi, où il ne va pas, où il se perd (André Comte-Sponville - Petit traité des grandes vertus)

En mer, quand la mort s'approche, il faut ouvrir grands les yeux et la regarder en face. Alors elle fait moins peur, c'est comme si tu allais descendre à quai. C'est pour ça qu'un naufrage est moins dur sur une barque que sur un navire. Sur une barque, on regarde la mort dans les yeux, on a envie de se lever et de marcher à son bras au milieu des vagues, mais sur un navire, tout est trop grand, il y a trop de bruit, d'appels, la mort s'annonce de façon si terrifiante, que lorsqu'elle arrive, on est comme fou. Plus grand est le bateau, plus dur est le naufrage (Francisco Coloane - Le dernier mousse)

Avec les souvenirs, on a le choix. Soit on les ignore et on s'empare de chaque journée comme si elle était nouvelle, soit on les ressort un à un, on les regarde en face et on les identifie. On va fouiller dans l'obscur pour trouver la clarté (Katherine Pancol - Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi)

Parfois, à notre insu, nous contemplons les animaux, comme si nous leur posions une question, et même si ils ne nous répondent que par un regard inexpressif, il s'établit une sorte de courant qui touche notre âme: une faible lueur tremble et nous découvrons ce que nous cherchions, peut-être un simple apaisement (Francisco Coloane - Cap Horn)

Est-ce possible qu'il n'y ait que ça? s'interroge-t-elle. Que les retrouvailles familiales n'apportent rien de plus, finalement, que l'occasion d'une photo de famille et que chacun ensuite s'en retourne à sa vie imperturbée? (Alice Zeniter - L'Art de perdre)

Après... il n'y a pas d'après. J'avance, je fends de grandes roches d'années, masses de lumière compacte, je descends des galeries de mines de sable, je perce des couloirs qui se referment comme des lèvres de granit. Et je retourne à la plaine, la plaine où il est toujours midi, où un soleil identique tombe fixement sur un paysage figé. Et n'en finissent pas de tomber les douze heures, ni de bourdonner les mouches ni de s'étoiler en éclats cette minute qui ne passe pas, qui seulement brûle et ne passe pas (Octavio Paz - Liberté sur parole)

Les hommes ne contrôlent rien, ne dominent rien, ils sont tous des enfants et même des jouets, mis là pour le plaisir des femmes, un plaisir insatiable et d'autant plus souverain que les hommes croient dominer les femmes, alors qu'en réalité les femmes les absorbent, ruinent leur domination et dissolvent leur contrôle, pour en fin de compte prendre d'eux bien plus qu'ils ne peuvent donner. Les hommes croient en toute honnêteté que les femmes sont vulnérables, et que cette vulnérabilité, il faut soit en profiter, soit la protéger, tandis que les femmes se rient, avec tolérance et amour ou bien avec mépris, de la vulnérabilité infantile et infinie des hommes, de leur fragilité, cette friabilité si proche de la perte de contrôle permanente, cet effondrement perpétuellement menaçant, cette vacuité incarnée dans une si forte chair. C'est bien pour cela, sans aucun doute, que les femmes tuent si rarement (Jonathan Littell - Les Bienveillantes)

Maintenant, je désire presque le retour de la nuit polaire avec son monde féerique d'étoiles, ses fantastiques aurores boréales et sa lune lumineuse poursuivant sa course dans le grand silence de la nuit endormie. C'est comme un rêve, comme une échappée dans le monde de la fantaisie et de l'imagination. Il n'y a plus aucune forme, aucune réalité, rien qu'une vision d'un ruissellement d'argent et de violet planant au-dessus de la terre (Fridtjof Nansen - Vers le pôle)

Tout se répète éternellement, le jour et la nuit, l'été et l'hiver, le monde est vide et dépourvu de sens. Tout tourne en rond. Ce qui est engendré doit retourner au néant, ce qui est né doit mourir. Tout s'annule, le bien et le mal, le sot et le sage, le beau et le laid. Tout est vide. Rien n'est réel. Rien n'est important (Michael Ende - L'histoire sans fin)

Ne t'endors pas, ne te repose pas, ne ferme pas les yeux, ce n'est pas terminé. Ils te cherchent. Tu entends ce bruit, on dirait le roulement des barriques vides, on dirait le tonnerre en janvier mais tu te trompes si tu crois que c'est ça. Écoute mon pays qui gronde, écoute la colère qui rampe et qui rappe jusqu'à nous. Tu entends cette musique, tu sens la braise sur ton visage balafré? Ils viennent pour toi (Nathacha Appanah - Tropique de la violence)

Ne les juge pas trop sévèrement, Fletcher le Goéland. En te rejetant, les autres goélands n'ont fait de tort qu'à eux-mêmes et un jour ils le comprendront... Pardonne-leur et aide-les à y parvenir (Richard Bach - Jonathan Livingston le goéland)

Un jour, Jonathan Livingston le Goéland, tu apprendras que l'irresponsabilité ne paie pas. La vie c'est peut-être pour toi l'inconnu et l'insondable, mais nous, nous sommes mis au monde pour manger et demeurer vivants aussi longtemps que possible! Un goéland jamais ne réplique au Grand Conseil. Pourtant la voix de Jonathan s'éleva: Irresponsabilité mes frères? s'écria-t-il. Qui donc est plus responsable que le goéland qui découvre un sens plus noble à la vie et poursuit un plus haut dessein que ceux qui l'ont précédé? Mille années durant, nous avons joué des ailes et du bec pour ramasser des têtes de poisson, mais désormais nous avons une raison de vivre: apprendre, découvrir, être libres ! (Richard Bach - Jonathan Livingston le Goéland)

Vous êtes vous déjà demandé quelle trace laisse notre passage sur terre? Si une seule vie peut réellement avoir un effet sur le monde ou si les choses que nous faisons ont une quelconque importance?  Moi je crois que oui, et je crois qu'un seul homme peut changer la vie de beaucoup d'autres pour le meilleur et pour le pire (film Les frères Scott)

Comment quelqu'un peut quitter ce monde en un clin d'oeil et être parti pour toujours. C'est trop énorme pour y penser. C'est trop dur. Et ensuite on est censé continuer, c'est ça? Dans le genre "faut vivre avec..." Enfin, on est censé être triste tant que les fleurs sont belles et ensuite on recommence à raconter des blagues et on se souvient du bon vieux temps. Je n'ai pas de blague à raconter. En fait j'espère ne plus entendre une seule blague de ma vie. Et le bon vieux temps, c'est juste ça: des vieux moments qui sont passés (film Les frères Scott)

 Qu'est-ce qui nous décide à faire une fugue? Je me souviens de la mienne, le 18 janvier 1960... Sur la route où je m'enfuyais, le seul point commun avec la fugue de Dora, c'était la saison: l'hiver. Hiver paisible, hiver de routine... Il semble que ce qui vous pousse brusquement à la fugue, ce soit un jour de froid et de grisaille qui vous rend encore plus vive la solitude et vous fait sentir encore plus fort qu'un étau se resserre (Patrick Modiano - Dora Bruder)

 Je crois en la magie, je suis né et j'ai grandi à un moment magique, dans une ville magique, parmi des magiciens. La plupart des gens ne se rendaient pas compte de la magie qui nous entoure. Nous sommes reliés par les filaments argentés du hasard et des situations. Mais moi je le savais. C'est mon opinion... Au début nous connaissons tous la magie. Nous sommes nés avec des tornades, des feux de forêts, et des comètes en nous. Tout en sachant chanter aux oiseaux, voir dans les nuages, et voir notre futur dans des grains de sable. Mais ensuite, l'éducation retire la magie de nos âmes. Les fessées, les bains et les coups de brosse font ça. On nous met sur le bon chemin et on nous dit d'être responsable, d'être mature. Et vous savez pourquoi on nous dit ça? Parce que ceux qui nous le disent ont peur de la jeunesse. Et parce que la magie qu'on connaissait, les rendait tristes et honteux d'avoir laissé ça disparaître en eux. Après s'en être éloigné, on ne peut pas vraiment y revenir... juste quelques secondes, quelques secondes pour en prendre conscience et s'en souvenir. Quand les gens sont tristes au cinéma, c'est parce que dans la salle sombre, on touche du doigt la magie, brièvement. Puis ils ressortent à la lumière de la raison, de la logique, et la magie s'évanouit. Et ils ressortent un peu tristes, sans même savoir pourquoi. Quand une chanson nous rappelle quelque chose, quand la poussière dans un rayon de lumière détourne votre attention du monde autour, quand la nuit vous écoutez au loin un train sur les rails en vous demandant où il va, vous dépassez votre personne et votre monde. Pendant un instant bref, vous entrez dans un royaume magique. C'est ce en quoi je crois (film Les frères Scott)

Merci aux oiseaux des rivages de l'Algarve pour leurs chants mélodieux, merci aux auteurs du monde pour leurs pensées voyageuses. Bon janvier, belles rencontres au coeur de l'hiver mes très chers. 

5 commentaires:

Joëlle a dit…

Quel plaisir de retrouver les cigognes, de constater que les chardonnerets ne sont pas en voie de disparition comme on nous le serine de temps en temps, et que mon oiseau-fétiche, le martin-pêcheur nous ravit de ces couleurs particulières...Ici, temps bien morose et pluvieux, mais je suis sûre que lorsque le soleil reviendra, on sera étonné des découvertes qui surgiront : amandes en fleurs, iris sauvages, mimosas et une troupe de petits bourgeons...

Jo a dit…

Merci pour ce magnifique partage qui enchante nos yeux et notre âme...

Yves a dit…

Toutes très sympa ces photos !

Véronique a dit…

Le choix des textes le choc des mots et des photos la beaute de la nature que tu arrives si bien a capter....un enchantement a chaque lecture a chaque photo
Merci pour ce beau partage

thierry.tiof a dit…

Merci Joëlle, merci Jo, merci Yves, merci Véronique,
vous êtes for me for me formidables. Bon mardi et bonne semaine mes amis.